Reprenons la température de la crise financière

Publié le par Mory

L'objectif de ce papier est de faire un nouveau point sur le suivi de certains indicateurs économiques et financiers (données statistiques, valorisation d’instruments financiers, paramètres de marchés) pour mesurer le niveau d’intensité de la crise financière

Je montrais dans un papier récent (« les indicateurs de crise à suivre sur les marchés financiers ») qu’il était capital de pouvoir suivre un certain nombre d’indicateurs économiques et financiers (données statistiques, valorisation d’instruments financiers, paramètres de marchés) pour mesurer le niveau d’intensité de la crise et appréhender les éléments suivants

- fonctionnement anormal du marché interbancaire
- forte aversion au risque des investisseurs
- psychologie fortement négative des marchés (peur, ventes panique, écartement des fourchettes de cotation – les fameux bid-ask…)

Nous avions recensé deux natures d’indicateurs. D’une part, quatre indicateurs permettant de mesurer le degré d’intensité de la crise de liquidité

- le montant des dépôts overnight (donc au jour le jour) des banques de la zone Euro à la BCE  (on en parle beaucoup dans les médias ces derniers temps et l’on va y revenir)
- le spread entre l’Euribor 3 mois et le swap 3 mois contre Eonia qui mesure les tensions sur le marché interbancaire.
- le niveau du basis swap Euribor contre Libor USD qui traduit les conditions plus ou moins faciles de l’’accès à la liquidité en dollar des banques européennes.
- le comportement BCE et le poids des LTRO (long terme refinancing operations) par rapport au MRO (main refinancing operations). On parle là aussi beaucoup ces derniers temps de ces opérations de refinancement et l’on va y revenir

D’autre part, trois indicateurs permettant de mesurer le degré d’aversion au risque des investisseurs  

- le VIX, indice de volatilité des actions US surnommé l’indice de la peur.
- le spread entre les taux à 3 mois du marché interbancaire (Libor USD aux Etats-Unis, Euribor 3 mois en zone Euro) et le niveau des bons du trésor à 3 mois. Plus cet écart s’accroit, plus cela traduit des inquiétudes fortes chez les investisseurs qui peuvent de manière tout à fait irrationnelle les conduire à prêter à certains états jugés « sûrs » à des taux d’intérêt négatifs ( Cf certaines adjudications récentes de papiers d’état allemands à court terme durant ce mois de janvier)
- le niveau de performance des banques sur les marchés financiers : aussi bien au niveau de leurs cours boursiers (et donc de leurs perspectives de résultats) qu’au niveau des leurs CDS (et donc de leurs perspectives de solvabilité)

Tous ces indicateurs montrent au quotidien la gravité et l’intensité de la crise. Malgré l’accalmie relative de ces dernières séances, le niveau de la plupart de ces indicateurs traduit toujours des tensions fortes et de nombreuses anomalies quant au fonctionnement normal des marchés financiers. Nous voudrions revenir ici sur deux indicateurs en particulier que la presse économique et financière « classique.. » a largement commenté depuis le début de l’année 2012. Il s’agit des indicateurs suivants : 1/ le montant des dépôts overnight à la BCE ; 2/le poids des LTRO par rapport à celui des  MRO dans les opérations de refinancement de la BCE

1/ Dépôts overnight à la BCE

Ces dépôts quotidiens se situaient entre 250 et 300 Mds€ dans la conjoncture de juillet 2011 à novembre 2011, à comparer au sommet de 340 Mds€ en octobre  2008 après le  défaut de Lehman.  Nous avons enregistré de nombreux pics ces dernières semaines : 452 Md€ entre le 27/12/2011 ; montant déposé de près de 490 Mds € le 12/01/2012 ; montant record de 528 Mds€ le 17/01/2012.

Pour se faire une petite idée de la crise de confiance sans précédent du système bancaire européen,  il faut savoir

- qu’en période de fonctionnement tout à fait normal du marché monétaire avant la crise des subprime commencée à l’été 2007, les montants moyens déposés par l’ensemble des banques de la zone se situaient entre 100 M€ et 200 M€ seulement
- durant les périodes d’accalmie relative que nous avons connu depuis le début de la crise de 2007, nous avons pu enregistrer des montants moyens déposés de l’ordre de 50 Mds€  à 100 Mds€.

C’est dire à quel point la situation actuelle constitue le prie blocage de circulation de la liquidité qu’il nous ait été donné de voir !!! On parle de crise de liquidité alors qu’il faudrait parler de crise de confiance car la liquidité au sens macroéconomique n’a jamais été aussi abondante (il suffit de regarder l’évolution du  bilan des banques centrales dont celui de la BCE avec l’extraordinaire croissance de ce que l’on appelle la base monétaire – définie comme la  somme de la monnaie  émise et des  réserves bancaires

En tout cas, plus ces dépôts sont élevés, plus ils traduisent des dysfonctionnements importants du marché interbancaire

Le pire, c’est que ces dépôts sont rémunérés sur la bas de la fourchette des taux directeurs de la BCE, soit 0.25% (alors qu’elles empruntent souvent cette même liquidité au taux directeur REPO de 1%). Les banques préfèrent momentanément perdre de l’argent (portage négatif de 0.75%) plutôt que d’investir en titres d’état  ou en autres actifs financiers (obligataire corporate, actions…) et plutôt que de financer l’économie réelle

Edifiant, non ?

On verra dans un prochain papier quelles pourraient être les solutions pour sortir de cette situation absurde. En d’autres termes, comment réinciter définitivement les banques à réexercer leur métier de financement à tous les acteurs de l’économie

- ménages, PME sous forme de prêts
- corporate sous forme d’obligataire, d’actions voire de private equity
- autres banques sous forme d’interbancaire, de dette obligataire
- emprunts d’état (et pas seulement ceux de son pays d’origine)

En tout cas , le jour ou ce montant des dépôts overnight reviendra vers des niveaux de 100 Mds€, on considérera que nous rentrons dans une période de réelle accalmie ; mais il faudra une décrue beaucoup plus sensible pour que l’on commence à parler de normalisation

2/ Le comportement BCE et le poids des LTRO (long terme refinancing operations) par rapport au MRO (main refinancing operations)

De mars 2008 à novembre 2011, la masse de liquidités allouée aux banques européennes lors des opérations d’appels d’offres de la BCE s’est située en moyenne mensuelle autour de 565 milliards d’euros. Avec une répartition devenue atypique : 152 milliards à travers des opérations normales de refinancement à une semaine (les MRO) et 413 milliards à travers des opérations de refinancement plus longues de repos extraordinaires sur des durées de 1 à 12 mois (les LTRO). Soit une répartition MRO/LTRO de l’ordre de 27%-73% alors qu’historiquement sur la période 1999-2007 de fonctionnement normal du marché monétaire de la zone Euro, cette répartition était de l’ordre 90%-10% !!!

Mieux, en décembre dernier,  non seulement le poids des LTRO s’est renforcé au détriment des MRO ; mais en plus la BCE a mis en place des opérations de refinancement au-delà de 1 an (durée déjà anormalement longue pour un appel d’offres). L’impressionnant succès du LTRO 3 ans du 21/12/2011 qui a permis de servir un montant record  de 489 milliards aux banques au taux de 1% a encore du mal à être interprété par les marchés.

- Certains ont bien perçu cette opération car elle doit permettre  d’améliorer la visibilité en matière de refinancement à moyen terme pour les banques et pourrait leur permettre sans doute d’envisager des stratégies de carry trade : refinancement à 1% de nouveaux achats de dettes souveraines y compris celles des états les plus fragiles.
- D’autres ont au contraire mal perçu cette méga opération de REPO car elle traduisait sans doute que la situation de besoins de liquidité du système bancaire européen était encore plus inquiétante que ce qui était initialement anticipé.

Le mach entre les premiers et les seconds reste serré en ce mois de janvier. On peut penser à certains moments que les seconds l’emportent sur les premiers ; il suffit pour s’en persuader de voir la corrélation entre le montant record de cette opération de repo longue et les montants records déposés au jour le jour à la BCE. Absurde situation comme on l’évoquait et qui consiste pour l’instant à déposer à la banque centrale la liquidité que celle-ci vous a alloué.

Et puis de toute façon, même si les banques le voulaient, pourraient-elles avec la liquidité banque centrale mettre en place des positions massives de carry trade en achetant les dettes souveraines les plus fragiles de la zone Euro. Pas vraiment pour au moins 3 raisons

1/ d’abord, elles ne peuvent pas se permettre d’accumuler indéfiniment des risques de taux liés à cette sur-transformation (d’ailleurs les réglementations à venir l’interdiront ou en tout cas l’atténueront avec la mise en place du Net Stable Funding Ratio).

2/ ensuite on imagine mal qu’elles reprennent du risque souverain périphérique après l’épisode grec parce-que les souvenirs de restructuration, d’haircut et d’impact sur les comptes de résultat 2011 sont encore bien présents

3/ enfin, comment peut-on donner envie à une banque qui, en plus vient de s’alléger sensiblement sur ses positions PIIGS, de réinvestir sur ce même type de papier ? A quoi sert le portage positif immédiat (écart entre le taux de rendement du papier souverain sur le marché secondaire et le taux refi à 1%) si des risques de restructuration à terme persistent ? A quoi sert-il également  de réinvestir si les produits dérivés de crédit (CDS) que j’achète demain pour me couvrir sur les risques d’insolvabilité de l’émetteur ne servent à rien (Cf là encore le précédent grec avec la non activation des CDS et donc l’inutilité de s’être assuré contre un défaut).

Ceci étant la liquidité BCE étant tellement abondante et naturellement pas chère, on peut penser que nombre de banques ont été tentées de participer au financement de certaines adjudications récentes de papiers d’état italiens, espagnols et français. Les ratios bid to cover souvent supérieurs à 2 témoignent en effet de la réussite de ces opérations.

Il ne faut pas pour autant s’attendre à des programmes massifs de carry trade par les banques  et ce même si la liquidité reste extraordinairement abondante (un second REPO à 3 ans est prévu e février et il devrait avoisiner les montants de décembre, soit autour de 500 Mds€). On a vu plus haut les raisons qui empêcheront les banques de profiter de ces possibilités de transformation ou de refinancement à 1% des dettes publiques sensibles : aversion au risque ; contraintes prudentielles et comptables (faible visibilité –  à tort ou à raison - sur la solvabilité de certains états et donc risques de  restructuration non écartés) ; doutes sur la « légitimité » des couvertures détenues ou en voie détention sur ces dettes (personnellement , je reste persuadé que cela aura été une erreur de ne pas avoir officiellement admis qu’il y avait événement de crédit sur la dette grecque, ce qui aurait impliqué l’activation des CDS sur la dette grecque.

Après tout, l’encours des CDS grecs est estimé autour de 54 Mds€ pour une dette de 350 Mds€ (avant le Private Sector Involvment dont les modalités « définitives » se discutent ces jours-ci). Rien ne dit objectivement que l’activation des CDS aurait été plus couteuse pour le système financier international que la restructuration avec abandon  « volontaire» de créances de la part des investisseurs privés. On reviendra sur ce sujet.

 

MORY DORE

Publié dans POLITIQUES MONETAIRES

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article