Perte du AAA pour la France : en réalité un non-évènement

Publié le par Mory

Perte du AAA pour la France : en réalité un non-évènement

Comment rendre encore plus inintelligibles l’économie et la finance pour le grand public avec ce tapage médiatique sur la dégradation de la note de l’État français de AAA à AA+ par S&P.

Décidément, les journalistes, les politiques et – ce qui est pire – certains économistes des médias ne font décidément toujours pas montre de grande pédagogie et de grande transparence dans leurs "analyses" de la crise financière.

Je veux expliquer ici que c’est un non-évènement pour au moins quatre raisons (naturellement pas les mêmes que celles du gouvernement du pays qui subit cette sanction).

On verra dans un deuxième  temps que ce qui constitue l’événement est plutôt le timing encore et toujours inapproprié d’une telle décision ainsi que les réactions confuses et peu professionnelles des politiques français de tous bords (gouvernements, opposants des partis dits de gouvernement et opposants des partis "extrêmes").

Un non-évènement pour quatre raisons

1) Pour le statisticien que je suis, cela ne change rien.

En effet, la note d’un émetteur est associée à sa solvabilité ; laquelle solvabilité est mesurée par la probabilité de défaut à horizon un an. En se référant aux historiques de S&P justement (Source : Cumulative average default rates by rating modifier, 1981-2007, Standard’s and Poor’s), la probabilité de défaut d’un AAA ou AA est identique, à savoir, quasi nulle sur un horizon de 1 an.

- Cette probabilité est de 0.07% pour une signature notée A (soit un seuil de confiance confortable pour un statisticien de 99,93% et un risque plus que confortable aussi pour un investisseur avec sept cas de défaut tous les dix mille ans !).

- Avec ces mêmes sources, nous avons une probabilité de 0.23% pour des notations BBB, de 0.81% pour des signatures BB et de 6.27% pour des signatures B.

2) Pour le spécialiste des marchés financiers que je suis, cela ne change rien également.

Le spread de taux à 10 ans entre la France et l’Allemagne s’est considérablement élargi passant d’un range de 20-40 pb durant toute l’histoire monétaire de la zone euro à un range de 100 à 200 bp ces derniers mois. D’un point de vue rémunération du risque de défaut, le taux de rendement des obligations d’État françaises. Il ne serait alors pas surprenant que le spread France- Allemagne se réajuste dans une zone plus raisonnable de 75 à 100 bp afin de corriger la surréaction de cet élargissement lié à une suranticipation de la dégradation française. De même qu’il ne serait pas surprenant que l’on assiste à un fort rebond de l’euro survendu contre dollar depuis près de deux mois (on reviendra sur nos anticipations forex plus en détail dans un papier qui sortira ces prochains jours).

3) Pour l’investisseur que je suis, là encore tout ceci ne change rien.

D’une part, les limites d’investissement de la plupart des grands investisseurs institutionnels sont souvent des limites par tranches de ratings : de AAA à AA-, de A+ à A-, de BBB+ à BBB-, en deca de BBB- le cas échéant. Il ne faut pas attendre des réallocations de portefeuilles significatives suite à des dégradations de AAA à AA.

De même, les nouveaux ratios de liquidité qui vont contraindre les banques notamment à constituer une réserve d’actifs liquides ne devraient pas là aussi impacter le comportement des investisseurs suite à une dégradation de AAA à AA. En effet les critères d’éligibilité à cette réserve de liquidité sont basés sur des ratings de notation supérieure à AA- pour les actifs dits de niveau 1 (donc considérés comme "super" liquides et à privilégier).

On reviendra dans un prochain papier sur les risques de bulles d’actifs liés à ces évolutions réglementaires et sur les limites de la définition d’un actif financier considéré comme liquide et faiblement risqué, mais c’est un autre sujet. 

4) Enfin, pour l’observateur et analyste des marchés que je suis depuis de nombreuses années, la dégradation par S&P de AAA à AA+ de la France et l’Autriche, de deux crans des notations de l'Italie et de l'Espagne et le passage du Portugal et de Chypre dans la catégorie de notation "speculative grade" (note inférieure à BBB-) doit permettre de s’interroger sur l’utilité de tels jugements par l’agence. On renverra le lecteur à notre article de fin 2012 sur les agences de notation.

Après tout, quel crédit accorder à des institutions qui n’ont pas su voir venir les 3 grandes crises de surendettement et de bulles des 15 dernières années ?

- Que faisaient les agences de notation en pleine bulle télécoms des années 1999-2000 ? Ont-elles pris des décisions appropriées pour alerter sur les risques d’insolvabilité des opérateurs télécoms ? Pas vraiment.

- Que faisaient les agences de notation lors de la constitution de la bulle subprime aux États-Unis en 2005-2006 ? Eh bien, elles continuaient à attribuer des AAA à de titrisations adossées à des créances d’inégale qualité (comme si la diversification était un gage de réduction du risque – en statistiques des marchés financiers oui, mais dans la vraie vie non). Pire, elles n’ont pas anticipé que ces titrisations cash et à base de dérivés de crédit allaient être à l’origine de considérables dépréciations d’actifs dans les bilans bancaires à partir du T4-2007 et menacer certains établissements bancaires d’illiquidité et d’insolvabilité un an plus tard après la faillite de Lehman.

- Plus près de nous, les agences n’ont pas compris que dès 2008-2009, le surendettement public des états va s’installer. D’un point de vue macroéconomique, les gouvernements dépensent sans compter pour prendre le relais de l’endettement privé (qui n’est plus possible). D’un point de vue systémique, il faut recapitaliser d’urgence les systèmes bancaires défaillants. Ce n’est que fin 2010, voire début 2011 que les agences de notation évoqueront officiellement les risques d’insolvabilité de certains États.
 
Mais tout cela c’est de l’histoire ancienne. Ce que l’on peut et doit reprocher aux agences aujourd’hui, c’est de dégrader tout le monde indistinctement et de ne pas faire la différence notamment en zone euro entre des pays insolvables comme la Grèce et dans une moindre mesure le Portugal et des pays qui traversent une crise profonde de liquidité comme l’Italie et l’Espagne (qui malheureusement si elle n’est pas traitée à temps par les instituions appropriées BCE, UE, FESF-MES , FMI peut injustement se transformer en crise de solvabilité). 
 
Ce qui constitue en fait l'évènement, c'est encore le timing inapproprié des dégradations
 
D’abord, on vient de le dire, l’histoire récente des marchés montre que les agences de notation n’interviennent pas toujours avec un timing approprié (retards dans le jugement sur la dégradation de la solvabilité de l’émetteur).

Mais on peut se poser des questions sur le timing d’un point de vue politique. Le commissaire européen aux Services financiers Michel Barnier l’a réaffirmé : "Alors que tous les gouvernements et toutes les institutions européennes sont mobilisés, je reste étonné du moment choisi par l'agence".

Même en Allemagne, le timing pose véritablement problème. Le ministre des Affaires étrangères allemand va même plus loin et met en doute l’indépendance des agences puisqu’il affirme qu’il faut "plus de concurrence et des agences de notation indépendantes, européennes, qui n'ont pas d'intérêts politiques ou économiques à s‘attaquer à l'euro et à la défense des intérêts de l'Europe".

De là à relancer la fameuse théorie du complot contre l’euro, il n’y a qu’un pas que nous ne voulons pas franchir. Mais il est quand même étrange que dès que des nouvelles de nature à apaiser (on ne dit pas résoudre) la crise des dettes souveraines. Souvenez-vous que c’est en plein sommet européen du 09/12 dernier (on ne veut pas dire que les résultats furent pour autant spectaculaires) que  S&P décida de mettre sous surveillance négative 15 des 17 États membres de la zone euro.

De même, cette semaine avait vu le succès des premières émissions obligataires de l'année en Italie et surtout en Espagne. Là encore, la dynamique d’apaisement aura été cassée par la décision de dégradation quasi généralisée du vendredi 13/01 par S&P.

Les agences se défendent comme elles peuvent

- Si certains pays de la zone euro sont dégradés, ce serait parce que "l’efficacité, la stabilité et la prévisibilité de la politique et des institutions politiques européennes ne sont pas aussi solides qu'il le faudrait", annonce l’agence S&P. En regrettant que seule l’austérité budgétaire soit privilégiée. Le malheur, c’est que sans austérité budgétaire, ces pays seraient quand même sanctionnés.

- Même si la situation budgétaire est calamiteuse au Royaume-Uni, le risque de défaut est inexistant pour les agences parce que la BOE monétise directement et indirectement (par les banques) massivement la dette publique. Certes, mais il arrivera un moment ou les banques britanniques ne pourront plus accumuler des risques de transformation (encours énormes d’emprunts d’État refinancés à court terme) sous peine de déclencher une grave crise bancaire lorsque la courbe des taux UK s’aplatira par une hausse des taux directeurs de al BOE. C’est loin d’être une menace immédiate, mais le rôle des agences est de pouvoir anticiper sur la solidité d’un système bancaire national pour juger de la qualité de crédit future du souverain de ces banques. C’est ce qu’elles font pour un pays comme la France. Souvenez-vous, le sport préféré de certaines agences était d’avertir ou de dégrader les banques françaises à cause de la France et d’avertir ou de dégrader la France à cause de ses banques ?

Ce qui constitue aussi l'évènement, c'est la cacophonie au sein de la classe politique
 
Un peu à l’image d’une campagne présidentielle aussi indigente que déprimante compte tenu des déficits d’ambitions et de débats d’idées.

L’opposition française constituée des partis dits de gouvernement devrait balayer devant sa porte. Car la dégradation de la note française – en dépit de toutes les insuffisances relevées sur le comportement et la méthodologie des agences – reflète les dérives budgétaires et l’inefficacité de l’État depuis 20 à 30 ans. Certes, sous l’effet de la crise, mais pas seulement, la situation budgétaire s’est considérablement dégradée en France depuis 5 ans : 20 points de PIB en plus pour la dette publique qui est passée de 1 150 Mds € à 1 780 Mds €.

Quant aux partis "extrémistes." de l’opposition qui prônent la sortie de l’euro, ils feraient mieux de s’abstenir de réagir puisqu’avec leurs politiques économiques, la dégradation de la note de la France serait spectaculaire (avec pour le coup une vraie crise de liquidité-solvabilité). Pire l’accès aux marchés de capitaux se fermerait avec un moratoire sur la dette publique détenue par les non-résidents (72% tout de même de l’ensemble de la dette publique). Dans ces conditions, la dette française ne serait même plus notable puisque le pays serait exclu de la scène économique et financière internationale. Lorsque vous excluez un élève du lycée, vous n’avez plus à le noter.

Enfin, le gouvernement n’affiche pas une grande crédibilité. Il avait fait du AAA une religion probablement suivant les conseils avisés d’hommes de l’ombre et il relativise aujourd’hui cette dégradation. Et l’argument qui consiste à considérer que la punition est collective et qu’elle traduit juste un déficit de gouvernance de la zone euro est un argument peu convaincant, car après tout,  4 pays ont subi un statu quo sur leur notation AAA : Allemagne, Pays-Bas, Finlande et Luxembourg.

Mory Doré

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article