Les banques centrales sont prises au piège de leur laxisme monétaire

Publié le par Mory

SEPTEMBRE 2012

 

On sait que les banques centrales ont habitué les banques commerciales à refinancer les emprunts d’Etat et l’activité de crédit (indexée sur les taux longs) à des conditions monétaires avantageuses.

Les investisseurs du monde entier ont accumulé des “positions de transformation” aujourd’hui très profitables.

Regardez.

 

Les achats d’obligations américaines, du Royaume-Uni, allemandes ou françaises ont aujourd’hui un rendement à 10 ans compris entre 1,40% et 2,80%. Or, ils sont refinancés avec des capitaux indexés sur des taux courts voisins de zéro (sans parler des achats de dettes périphériques européennes au-dessus de 6%).

Ce mécanisme leur procure non seulement une marge de transformation positive mais surtout pour longtemps puisque les banques centrales ont déclaré qu’elles maintiendraient jusqu’à ce que nécessaire leur politique de taux courts proches de zéro — très explicitement par exemple en ce qui concerne la Fed jusqu’à la fin 2014.

Les banques centrales piégées
Les banques centrales ne peuvent plus se permettre de remonter leurs taux directeurs : des politiques monétaires restrictives (hausse des taux, retraits de liquidités, refus d’accepter certains collatéraux) provoqueraient une hausse du prix de l’argent à long terme.

On parle alors de repentification de la courbe des taux. Il en résulterait une remontée des taux des emprunts d’Etat et donc une forte dévalorisation des portefeuilles obligataires des établissements financiers.

Théoriquement, ces moins-values n’apparaîtront pas directement dans les bilans car les obligations d’Etat sont censées être conservées jusqu’à maturité (sauf à imaginer des restructurations de dettes d’un Etat jugé aujourd’hui de bonne qualité — or ce n’est plus de la finance-fiction).

Cependant, même si ces moins-values latentes ne toucheraient pas directement le compte de résultat des banques en normes comptables IFRS (elles seraient impactées sur les capitaux propres), cette situation fragiliserait leur solvabilité réelle, déjà mise à mal par les nombreuses dépréciations d’actifs que le système bancaire a eu à gérer depuis quatre ans. Si, si, rappelez-vous : subprime, souverains périphériques…

Cependant l’idée selon laquelle une Banque centrale ne peut plus faire machine arrière en durcissant sa politique monétaire est excessivement dangereuse et perverse pour le système bancaire lui-même. Il installe la profession dans une sorte de gestion de bilan passive.

Si l’on s’en tient à l’exemple de la BCE, certes, elle ne peut brutalement mettre un terme à sa politique monétaire accommodante. Et il est vrai que, comme la plupart des grandes banques centrales, elle serait dans l’incapacité de remonter ses taux directeurs et de durcir sa politique monétaire si les conditions économiques l’exigeaient.

Car toute orientation, même modérée, en ce sens créerait les conditions d’un krach obligataire mondial, avec l’insolvabilité des Etats de la Zone euro en situation de crise de liquidité et, partant, la faillite de systèmes bancaires nationaux.

 

Mais il faudra que cela change !

 

Cela ne veut pas dire pour autant que — contrairement à ce que les marchés ou nombre d’économistes l’anticipent naïvement — le statu quo actuel soit éternel.

Mais pour moi, il est inimaginable qu’une Banque centrale soit condamnée à choisir entre une politique monétaire “éternellement” accommodante et un risque de krach obligataire et de crise systémique bancaire ! Afin d’assainir le système économique et financier, une Banque centrale ne doit pas installer le hasard moral systématique. Or aujourd’hui :

  • les banques sont toujours plus déresponsabilisées –à quoi bon s’inquiéter puisque la BCE sera le prêteur en dernier ressort et en quantité illimitée ?
  • les Etats sont déresponsabilisés (encore plus les gouvernements dans leur gestion des deniers publics) — à quoi bon mener des politiques d’austérité impopulaires puisque la BCE sera le prêteur en dernier ressort et en quantité illimitée ?

Cet état de fait ne peut durer.

On doit donc anticiper que la Banque centrale sortira progressivement de sa politique d’argent gratuit et combattra l’aléa moral. Ce n’est peut-être pas avant 2015-2017, car on comprend bien que c’est compliqué étant donné l’addiction aux mesures non conventionnelles.

Et c’est selon nous le temps qu’il faut pour que les établissements bancaires assainissent “totalement” leur bilans (sécurisation de la liquidité), gèrent quelques risques systémiques potentiels et s’adaptent aux évolutions réglementaires Bâle III.

 

MORY DORE

Publié dans POLITIQUES MONETAIRES

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